Pourquoi réaliser une étude d’impact social ? Nous avons interrogé Jérémy Brémaud, le fondateur d’Ellyx, qui a mené l’enquête sur le modèle des restaurants inclusifs des Brigades Extraordinaires, le collectif de restaurants inclusifs initié par l’association Les Extraordinaires. Et il s’avère que Jérémy a beaucoup de choses à dire sur le sujet !
Q : Alors, c’est quoi une étude d’impact social ?
Jérémy : « L’étude d’impact permet de voir si les objectifs sociaux et sociétaux d’une organisation sont réellement atteints. Ainsi, lorsque nous nous engageons à améliorer la qualité de vie des personnes, à favoriser leur insertion sociale et professionnelle et à développer leur autonomie, ces engagements vont bien au-delà des simples indicateurs de gestion quotidienne de nos activités et de notre organisation.
Nous procédons à une analyse approfondie pour déterminer si les actions menées suivent la bonne trajectoire, identifier les efforts supplémentaires nécessaires pour avancer encore plus, et comprendre comment nous pouvons continuer à nous concentrer sur notre mission principale plutôt que de nous limiter à des éléments de discours. »
Q : Quelles sont les raisons de la montée en popularité des études d’impact social ?
Jérémy : « Le développement des études d’impact social s’explique par plusieurs facteurs. Les dirigeants d’organisations, souvent préoccupés par les contraintes budgétaires et les défis du financement, cherchent des moyens de démontrer concrètement l’impact de leur travail quotidien. Ils aspirent à trouver des arguments solides et des preuves tangibles à présenter à leurs partenaires, pour illustrer l’importance de leur soutien. Cette démarche vise à mettre en lumière la valeur réelle de leurs actions et à encourager un investissement renouvelé dans leurs missions.
On observe une bascule dans la relation aux financeurs, notamment aux financeurs publics, qui commencent à voir les dépenses engagées dans les organisations d’utilité sociale non plus comme de simples coûts, mais plutôt comme des investissements générant davantage de valeur sociale. Cette perspective soulève la question de la mesure et de la communication de cet impact social. Cette évolution est plus ancienne du côté des financeurs privés, plus habitués à rechercher un retour sur investissement, et dans ce cas un retour sur investissement social. Ces derniers encouragent désormais activement les entités qu’ils soutiennent à prouver concrètement leur impact social. La question centrale est alors : parviennent-elles réellement à atteindre la performance sociale escomptée, justifiant ainsi le mode de financement ? »
Q. La mesure de l’impact social pourrait-elle devenir une exigence ?
Jérémy : » Lorsqu’il s’agit de solliciter des subventions, des exigences de reporting existent déjà. Cependant, ces exigences tendent généralement à se concentrer sur les ressources déployées plutôt que sur l’impact réel des initiatives. Pour Les Extraordinaires, mentionner que l’on accueille dix personnes et décrire le niveau d’encadrement et les formations proposées ne fournissent pas d’informations sur les compétences réellement acquises par les personnes ou sur leur bien-être. C’est pourquoi l’étude d’impact cherche à adopter une perspective différente, en se concentrant sur la mesure de l’utilité sociale de ces actions. »
Concernant la nécessité de rendre obligatoires les études d’impact social, il existe une préoccupation majeure quant à qui assumera le coût, car ces démarches engendrent des dépenses non-négligeables. Imposer de telles études aux organisations sans leur fournir les ressources nécessaires signifierait que celles-ci devraient puiser dans leur budget de fonctionnement pour financer ces évaluations. Ainsi, au lieu d’allouer leurs fonds au soutien direct des personnes, elles seraient contraintes de rémunérer des consultants pour évaluer leur impact social.
Q : Quelle est la genèse de l’étude pour l’association Les Extraordinaires ?
Jérémy : « L’essor des modèles de restaurants inclusifs, et notamment celui du Reflet, a suscité un vif intérêt, accompagné de nombreuses demandes de réplication. Les expériences vécues par Flore Lelièvre et son équipe apportaient certaines confirmations, mais sans toujours permettre une mise en lumière claire et évidente de l’impact réel. Dans ce contexte, l’ambition était de révéler de façon plus tangible ce qui se passe réellement au sein de ces restaurants inclusifs. Cela dans le but de faciliter les échanges avec les institutions, notamment pour les demandes d’agréments, les autorisations d’ouverture et l’accès aux financements. L’objectif était d’encadrer plus efficacement une initiative qui, à ses débuts, s’inscrivait hors des cadres traditionnels, afin de faciliter son développement. »
Q : Selon toi, l’objectif de donner sa place au modèle a-t-il été atteint ?
Jérémy : « Pour moi, l’objectif a été atteint sur ce volet. Ce qui est également intéressant, c’est l’acceptation des domaines dans lesquels l’association qui réalise l’étude d’impact peut encore progresser. Cela incite les dirigeants à réfléchir sur la manière d’améliorer encore leur performance demain. Et cette responsabilité ne repose pas uniquement sur les épaules des dirigeants ; elle s’inscrit aussi dans le cadre d’un dialogue avec leurs financeurs et leurs partenaires. Quels moyens peuvent être mobilisés pour augmenter l’impact ? Si nous choisissons collectivement de nous engager dans cette voie, quel type de dispositifs ou de formats pourrions-nous envisager ? »
Q : Quel est l’enjeu de prise en main par les dirigeants derrière une telle étude ?
Jérémy : « Effectivement, il existe un réel enjeu autour de la prise en main des résultats de l’étude. Bien que le sujet soit quelque peu technique, il présente deux avantages principaux. Premièrement, pour les personnes accompagnées, leurs familles et leurs proches, il s’agit d’avoir la possibilité d’objectiver ce qui se passe dans le restaurant où ils sont parties prenantes, sans nécessairement en avoir une vision globale. Ça permet de mettre des mots sur des ressentis, de voir si finalement ce qu’on vit, c’est ce que vivent majoritairement les autres. »
Deuxièmement, il y a un aspect spécifiquement destiné aux dirigeants d’organisations. Celui-ci est utile pour, durant les phases de création ou de développement, comprendre les éléments clés à surveiller pour préserver l’impact social visé. En outre, lors des interactions avec les partenaires, ou autres financeurs, il est essentiel de pouvoir présenter des éléments objectivés pour défendre la singularité et l’efficacité de leurs actions.
Q : Dans la majorité des cas, observes-tu que les démarches d’études d’impact sont principalement menées pour convaincre les financeurs ?
Jérémy : » Nous constatons des écarts selon les domaines d’activité et les contextes des organisations. Dans le cas de modèles un peu hors cadre, comme l’étude d’impact sur les restaurants inclusifs, la question prédominante reste de savoir comment rendre compte de toute la valeur sociale générée. Lorsque les structures sont plus établies, la réflexion se déplace sur la manière de progresser. Comment on ne s’endort pas sur nos lauriers ? Comment on remet de l’énergie sur les sujets où des lacunes sont observées dans l’étude d’impact ? »
Au cœur de l’évaluation de l’impact social, ce qui me paraît fondamental, la question est de savoir si nous avons atteint le sommet de nos capacités ou s’il reste des actions qui échappent à notre contrôle. Si l’on souhaite réellement avoir un impact, quelles alliances devons-nous établir pour assurer un véritable soulagement pour les familles, et ainsi améliorer concrètement leur quotidien ?
Q : Quels sont les principaux enseignements à retirer de cette étude ?
Jérémy : « Certaines observations confirment nos attentes, notamment en ce qui concerne le développement de l’employabilité et du professionnalisme. Pour autant, pouvoir quantifier et observer ces aspects est précieux. Ce qui m’a surpris, c’est la capacité à maintenir et fédérer l’engagement sur le long terme des encadrants, dans un secteur caractérisé par un turn-over élevé. Face à un scénario où l’on pourrait s’attendre à une dégradation plus rapide de l’enthousiasme des professionnels, obligés d’être à la fois de bons restaurateurs et de bons encadrants techniques, on observe plutôt un désir de réalisation personnelle que de progression dans une carrière technique.
Quand on se penche sur les raisons pour lesquelles les clients viennent ou reviennent, il s’avère que la qualité des plats est primordiale. Cela signifie que, au-delà de l’expérience vécue, l’essentiel reste dans la qualité des plats servis. Les clients apprécient le bon rapport qualité-prix, l’ambiance agréable et les produits frais. Ce sont ces éléments qui constituent les critères principaux. »
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